À l’ère du tout-connecté, la protection des droits des enfants sur internet devient un enjeu crucial. Entre opportunités et dangers, comment le droit s’adapte-t-il pour garantir leur sécurité en ligne ?
L’émergence d’un cadre juridique spécifique
Face à l’omniprésence du numérique dans la vie des mineurs, le législateur a dû créer de nouvelles dispositions légales. La loi pour une République numérique de 2016 a posé les premières pierres d’un édifice juridique visant à protéger les enfants en ligne. Elle instaure notamment un droit à l’oubli numérique renforcé pour les contenus publiés pendant la minorité.
Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) européen, entré en vigueur en 2018, renforce considérablement la protection des données personnelles des mineurs. Il impose par exemple l’obtention du consentement parental pour le traitement des données des moins de 15 ans. Les entreprises doivent désormais adapter leurs services et leurs politiques de confidentialité en conséquence.
Plus récemment, la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet marque une nouvelle étape. Elle oblige les fabricants d’appareils connectés à installer par défaut un contrôle parental, facilitant ainsi la tâche des parents dans la supervision des activités en ligne de leurs enfants.
La lutte contre le cyberharcèlement : une priorité légale
Le cyberharcèlement constitue l’une des principales menaces pour les enfants sur internet. La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a introduit la notion de raid numérique, permettant de mieux appréhender les phénomènes de harcèlement en ligne impliquant plusieurs auteurs.
Le Code pénal prévoit désormais des circonstances aggravantes lorsque le harcèlement est commis par le biais d’un service de communication au public en ligne. Les peines peuvent aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, voire 10 ans et 150 000 euros en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime.
La loi Balanant du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire élargit encore le champ d’action en créant un délit spécifique de harcèlement scolaire, incluant explicitement les faits commis en ligne. Elle prévoit aussi la mise en place de programmes de prévention et de sensibilisation dans les établissements scolaires.
La protection de l’image et de la vie privée des mineurs
Le droit à l’image des mineurs est particulièrement protégé en France. L’article 226-1 du Code pénal sanctionne la captation, l’enregistrement ou la transmission de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé sans son consentement. Pour les mineurs, le consentement des parents est requis.
La question du sharenting (partage excessif de photos d’enfants par leurs parents sur les réseaux sociaux) soulève de nouvelles interrogations juridiques. Bien que non spécifiquement encadré par la loi, ce phénomène pourrait être considéré comme une atteinte au droit à l’image et à la vie privée de l’enfant. Des juristes plaident pour une évolution législative sur ce point.
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) joue un rôle crucial dans la protection des données personnelles des mineurs. Elle a notamment publié des recommandations à destination des parents et des professionnels pour une utilisation responsable des données des enfants sur internet.
Les défis de la régulation des contenus en ligne
La protection des mineurs face aux contenus inappropriés constitue un défi majeur. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales renforce les obligations des fournisseurs d’accès à internet et des moteurs de recherche en matière de filtrage des contenus pornographiques.
Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), devenu Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), voit ses prérogatives étendues au contrôle des plateformes en ligne. Il peut désormais mettre en demeure les sites ne respectant pas leurs obligations de protection des mineurs.
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République introduit de nouvelles dispositions pour lutter contre la haine en ligne et la diffusion de contenus illicites, bénéficiant indirectement à la protection des mineurs sur internet.
Vers une responsabilisation accrue des plateformes numériques
Le Digital Services Act (DSA) européen, adopté en 2022, marque un tournant dans la régulation des grandes plateformes numériques. Il impose des obligations renforcées en matière de modération des contenus et de protection des mineurs, sous peine de lourdes sanctions financières.
En France, la loi du 2 août 2021 relative à la protection des enfants renforce les obligations des plateformes de partage de vidéos en matière de signalement des contenus préjudiciables aux mineurs. Elle prévoit aussi la création d’un observatoire de la protection des mineurs en ligne.
Le débat sur l’âge minimum d’accès aux réseaux sociaux reste d’actualité. Si la plupart des plateformes fixent une limite à 13 ans, certains parlementaires plaident pour un relèvement à 15 ou 16 ans, assorti de mécanismes de vérification plus stricts.
L’éducation au numérique : un complément indispensable à la loi
Face à la complexité des enjeux, le législateur insiste sur l’importance de l’éducation au numérique. La loi pour une école de la confiance de 2019 a introduit l’enseignement du code informatique dès l’école primaire et renforcé la formation aux enjeux du numérique tout au long de la scolarité.
Le permis internet, mis en place en partenariat avec la gendarmerie nationale, vise à sensibiliser les élèves de CM2 aux dangers d’internet et aux bonnes pratiques en ligne. Des initiatives similaires se développent au collège et au lycée.
La formation des parents n’est pas oubliée. Le gouvernement a lancé en 2021 le dispositif « Jeunes en ligne », proposant des ateliers et des ressources pour aider les parents à accompagner leurs enfants dans leur vie numérique.
La protection juridique des enfants dans le monde numérique s’affirme comme un chantier en constante évolution. Face à la rapidité des mutations technologiques, le droit s’efforce d’apporter des réponses adaptées, combinant régulation des acteurs, responsabilisation des utilisateurs et éducation au numérique. Un équilibre délicat à trouver entre protection et liberté, pour permettre aux jeunes générations de profiter pleinement des opportunités offertes par le numérique tout en les préservant de ses dangers.